Archives du mot-clé cause

Benzo, un ami qui vous veut du bien?

Lorsque vous ouvrez la notice du Valium® ou du Lysanxia®, parmi les effets indésirables vous trouvez «modifications de la conscience». L’indication thérapeutique essentielle, elle, est le traitement de l’anxiété.
Je voudrais ici me concentrer sur ce terme, effet, qu’il soit désiré ou indésirable. Car il en implique logiquement un autre, celui de cause. Les notices qu’on vient de mentionner laissent à penser que leur molécule (des benzodiazépines) sont la cause de phénomènes de consciences, qu’elles ont un pouvoir causal sur nos sentiments (sentiments de peur, d’angoisse, d’anxiété… ) et donc, conséquemment, qu’elles sont la cause d’effets contraires (sentiments de paix, de sérénité…)
Qu’on soit bien d’accord, il ne s’agit pas de mettre en doute l’efficacité des benzos (BZD) en terme d’action sur le GABA dans le cerveau, ni de remettre en question les effets physiologiques sur les symptômes physiques indésirables de l’anxiété (palpitations, troubles respiratoires…), mais de remarquer ceci :
Dans le cadre d’une description complète du métabolisme d’un médicament et de son élimination, il n’est jamais besoin de faire intervenir les phénomènes de conscience. En d’autres termes, on peut (théoriquement) décrire complètement l’ensemble des effets d’une molécule (par exemple une BZD) par ses effets physiologiques. Les effets sur les phénomènes de conscience sont des effets «supplémentaires», c’est à dire inutiles à la suffisance ou à la complétude de l’explication matérielle. Dans le monde physique et l’enchaînement de ses causes et de ses effets, le phénomène de conscience n’est à proprement parler ni effet ni cause de rien. Mon sentiment d’anxiété est inutile à l’explication de mon comportement. Certains philosophes anglo-saxons (par ex. D. Chalmers) avancent une image assez parlante : d’un point de vue extérieur (= en troisième personne) un monde jumeau zombie, c’est-à-dire sans phénomènes de conscience, serait parfaitement indistinct du nôtre.
Il nous faut donc admettre, aussi paradoxal soit-il, que les BZD n’ont, strictement, aucun pouvoir causal sur des phénomènes de conscience comme le sentiment d’anxiété. Le Valium® ou le Lexomil® ne CAUSENT PAS un sentiment de bien-être, de paix ou de sérénité. Ce serait là faire une erreur catégorielle qui n’est pas sans conséquences sur le plan thérapeutique. Et donc éthique.
Affirmer qu’un psychotrope possède un effet sur la vie intentionnelle, sur le vécu en première personne, c’est semble-t-il ou bien enfermer le patient dans une contradiction logique (celle pointée plus haut), ou bien le pousser à s’identifier, à parler de lui en troisième personne. À se rapporter à lui-même «de l’extérieur» et s’expulser de ses propres vécus et ressentis.
Ce propos ne nie pas qu’il existe une relation de dépendance des phénomènes de conscience vis à vis de leur substrat matériel (en gros, le cerveau). Que la disparition ou l’apparition de l’un conditionne la disparition ou l’apparition de l’autre. Que modifier le cerveau c’est modifier la vie «intérieure». Toutefois cette relation, qu’on l’interprète en termes de survenances fonctionnelles, logiques ou naturelles, il nous suffit ici de constater, pour soutenir notre propos, qu’elle ne peut être d’ordre CAUSAL.
Question d’éthique.

JMV